« Il faut rendre complémentaires le geste scriptural et le geste numérique »
- Agnès Le Brun
- 16 déc. 2024
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Agnès Le Brun, conseillère régionale de Bretagne (divers droite) et ancienne maire de Morlaix (29), défend le geste d’écrire à l’école « qui structure la pensée » et qui ne s’oppose pas à l’usage du numérique.
Numérique, stop ou encore ? À l’heure où la Suède décide de renoncer au numérique et débloque depuis 2023 des fonds importants pour restaurer l’usage du manuel, où la Norvège dit vouloir « mettre un terme à la numérisation aveugle », la France se distingue comme souvent par une vision purement binaire qui voit s’affronter le camp des « tradi » adeptes de la méthode de lecture syllabique Boscher, qu’ils aspirent ardemment à voir réhabilitée, et les « modernes (forcément progressistes) » qui ne jurent que par le numérique à grands renforts de plans et d’annonces tout en frissonnant collectivement devant les dégâts de plus en plus objectivés des réseaux sociaux.
Peut-être serait-il utile de revenir aux constats factuels : le numérique est rentré dans la société à un point tel qu’il serait absurde de l’ignorer à l’école, qui se ringardiserait encore un peu plus, si c’est possible, et dans le même temps la majorité des élèves ne maîtrise plus les savoirs fondamentaux lire-écrire-compter. L’enjeu n’est donc pas le choix entre l’un ou l’autre mais la conciliation intelligente de l’un et de l’autre. Autrement dit, si on peut parler de transition numérique, il ne s’agit pas de considérer qu’il y aurait d’un côté des outils obsolètes - comme a pu l’être le porte-plume par exemple - et de l’autre le remède universel à l’ignorance.
Tout d’abord parce que le geste scriptural et le geste numérique sont deux gestes tout à fait différents, qu’il nous appartient de rendre complémentaires, ensuite parce que le geste prolonge, structure et délie la pensée. L’élaboration et le développement d’un raisonnement passent par exemple par un cheminement « à sauts et à gambades » cher à Montaigne, ce qui se traduit sur le papier par la pratique du brouillon. Concrètement, suivant la forme de son esprit, l’élève va jeter sur le papier des mots-clés autour desquels il va construire son raisonnement. Il pourra construire et déconstruire jusqu’à un résultat qui lui semblera cohérent et équilibré, et surtout compréhensible et convaincant. Mais à une condition : que son brouillon reste la matrice de son travail.
La tablette lui permettra quant à elle une approche du savoir plus débridée, plus spontanée et plus transgressive aussi. Au risque de tourner en rond ou à vide si son usage ne s’assortit pas de l’apprentissage de règles. Au risque d’être exposé à de nouveaux dangers bien plus dévastateurs que la découverte fortuite de quelques pages issues de l’Enfer d’une bibliothèque familiale.
Accéder à une information ne signifie définitivement pas s’approprier celle-ci, la répétition des mécanismes, indispensable à l’ancrage des savoirs ne s’accommode pas bien du rythme rapide, et parfois désordonné, propre à la facilité d’accès à l’univers numérique. À nouvelles sources de savoir, nouveaux modes d’apprentissage, nouvelles libertés mais aussi nouvelles et indispensables contraintes.
Autant dire l’importance essentielle, d’une part d’une règle simple posée - on ne va pas à l’école avec curiosité et joie si c’est pour y reproduire ou subir ce que l’on vit en dehors de l’école - et d’autre part de l’enseignant qui reste un médiateur fondamental sous condition d’être bien formé. Oui, il faut le répéter avec force, tout (re) commencera avec une formation exigeante et des règles aussi bienveillantes que fermes.
Alors vive les tablettes, mais de grâce, ne jetons pas les cahiers au feu avec le maître au milieu !




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