Suppression de l’accord du participe passé : progrès ou paresse ?
- Agnès Le Brun
- 23 août
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Agnès Le Brun, conseillère régionale de Bretagne (divers droite) et ancienne maire de Morlaix s’oppose à l’idée de supprimer dans notre langue l’accord du participe passé qui servirait, selon elle, la résignation et non l’égalité.
L’histoire de la langue française est jalonnée de débats sur l’orthographe, toujours traversés par une tension entre exigence et simplification. Aujourd’hui, certains, dont le Conseil supérieur des programmes, proposent de supprimer l’accord du participe passé, au nom du progrès pédagogique et d’une modernité qui voudrait rendre la langue plus « accessible ». Mais cette réforme, loin d’émanciper, risque d’appauvrir la langue, d’affaiblir son rôle formateur et, paradoxalement, de creuser les inégalités sociales.
L’accord du participe passé n’est pourtant pas une bizarrerie arbitraire : il est le fruit d’une logique grammaticale patiemment élaborée depuis le XVIIe siècle, guidée par le fait que la clarté et la précision de la langue sont le reflet d’une discipline intellectuelle. Et Victor Hugo, rappelant que « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface », montrait combien le respect de la grammaire est inséparable du respect de la pensée. Supprimer cet accord, c’est réduire la phrase à une mécanique minimale, c’est priver celui qui la prononce de nuances et d’exigences, de celles qui forgent l’intelligence.
Mais il y a plus grave encore. Derrière l’argument de simplification, est brandie une promesse démocratique : rendre la langue plus facile, donc plus égalitaire. C’est un leurre. Car en vérité, ce type de réforme ne profite pas à ceux qu’elle prétend aider. Les enfants issus de milieux favorisés continueront à recevoir dans leurs familles une maîtrise de la langue riche. Les autres, en revanche, seront privés de cet accès à la complexité, qui est aussi un accès à l’émancipation sociale. Faut-il rappeler que l’école n’est pas faite pour abaisser la culture au niveau de l’ignorance mais pour élever tous les esprits vers la culture.
« Ce n’est pas à la langue de se plier à nos paresses, c’est à nous de nous élever à sa hauteur. »
L’exigence grammaticale n’est donc pas un luxe élitiste mais une chance donnée à chacun de conquérir une langue précise, structurée, capable d’exprimer des idées fines. Paul Valéry prévenait : « Deux dangers menacent le monde : l’ordre et le désordre ». La suppression de l’accord du participe passé bascule du côté du désordre, au prétexte de s’affranchir de la contrainte. Mais cette contrainte est pourtant formatrice : elle enseigne la rigueur, l’attention, le lien entre les mots et les idées.
À force de céder à l’illusion de la facilité, nous risquons d’affaiblir la langue française dans sa fonction la plus noble : celle d’être un instrument de pensée et un patrimoine commun. La réduire à sa seule utilité communicationnelle, c’est oublier que la langue est aussi, selon la belle formule de Ferdinand Brunot, « l’âme d’une nation ». C’est fragiliser la démocratie elle-même, car une démocratie vivante suppose des citoyens formés à la précision et à la nuance qui mènent à l’esprit critique.
En réalité, cette réforme ne servirait pas l’égalité mais la résignation. Elle ne combattrait pas l’ignorance, elle l’installerait. Car une société qui renonce à la richesse de sa langue renonce en partie à sa propre exigence intellectuelle. Il faut donc le redire : ce n’est pas à la langue de se plier à nos paresses, c’est à nous de nous élever à sa hauteur.




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